Introduction
Le principe de subsidiarité (ou de fonction subsidiaire, ou de fonction supplétive) est le principe d’organisation de la doctrine sociale de l’Église, parce qu’il est le principe de structure de la société.
I. La participation au bien commun
Le bien commun est l’objet et la fin de la justice sociale ; mais il faut qu’il soit réellement et effectivement commun. Il faut donc que tous les membres de la société y participent, chacun selon sa place et qualité.
« Il appartient à la justice sociale d’imposer aux individus tout ce qui est nécessaire au bien commun. Mais, dans un organisme vivant, on n’a pas pourvu au besoin de l’ensemble si chaque membre du corps n’a pas ce qui lui est nécessaire pour remplir sa fonction ; de la même façon, dans l’organisation et le gouvernement de la communauté, on n’a pas envisagé le bien commun si l’on ne donne pas à chaque membre de la société, qui a la dignité d’être une personne humaine, tout ce qui lui est nécessaire pour accomplir sa fonction sociale » [Pie XI, Divini Redemptoris, 19 mars 1937, § 51, D 2277].
« L’organisme économico-social sera sainement constitué et remplira ses fonctions quand tous et chacun auront suffisamment part aux biens que permettent de leur procurer les ressources naturelles, l’emploi des techniques et une organisation sociale de l’économie. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire les besoins honnêtes et pour élever les hommes à un niveau de vie plus heureux qui, pourvu qu’on en use avec prudence, non seulement ne fait pas obstacle à la vertu, mais lui est au contraire grandement utile » [Pie XI, Quadragesimo Anno, 15 mai 1931, D 2265 ; Divini Redemptoris, § 52].
II. La fausse alternative
« Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l’abîme où tend à les jeter la socialisation de toutes choses, socialisation au terme de laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. C’est avec la dernière énergie que l’Église livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : dignité de l’homme et salut éternel des âmes » [Pie XII, au Katholikentag de Vienne, 14 septembre 1952].
« La doctrine catholique de l’organisation professionnelle repose sur une conception organiciste de la société, en contradiction avec la conception mécaniste des économistes libéraux. Pour ceux-ci, la société est un simple agrégat d’atomes de même forme, de même qualité, mus par des mécanismes régulateurs ; pour les catholiques, elle est un organisme vivant dont toutes les parties se coordonnent en vue d’une fin. (…) Les organisations juridiques du libéralisme, au nom d’une liberté formelle dont la définition avait été empruntée aux sectaires protestants du dix-septième siècle et à Locke, visaient à ne faire de l’homme agissant dans l’exercice d’un métier, qu’il fût entrepreneur ou salarié, qu’un atome mécanisé mû par des automatismes économiques ou psychologiques. Elles avaient ainsi contribué à la déshumanisation de l’homme dont nos générations constatent les désastreux effets » [A. Dauphin-Meunier, La doctrine économique de l’Église, pp. 291-292].
III. La dignité de l’homme
« Il n’existe ni liberté ni servitude absolue. On est toujours libre et toujours serf à l’égard de quelque chose. Le volume de cette liberté et celui de cette servitude ne peuvent se comparer quantitativement, on peut faire la somme algébrique, positif et négatif additionnés, pour finalement se déclarer purement et simplement libre, ou plus libre que serf, ou en voie de libération absolue. »
« Ce qui compte, c’est la nature et la qualité des choses à l’égard desquelles on veut être libre, c’est la qualité et la nature de celles auxquelles on accepte d’être lié. L’homme n’a pas à opter entre la liberté et la servitude, il n’a pas non plus à les composer ou les doser, mais à choisir où il situe sa servitude et où il situe sa liberté. »
« La religion du Christ, qui anime ce qu’il y a de “chrétien” dans une “civilisation”, tend à rendre l’homme libre à l’égard des choses qui, en lui ou hors de lui, lui sont inférieures ; elle l’affranchit autant qu’il sait le vouloir des tyrannies matérielles, celles des habitudes physiologiques, celles du vice et des passions, celles de la force brutale, celles de l’argent. Et cette liberté toujours mal assurée, toujours à défendre, toujours à reconquérir, cette liberté qui est celle de saint François d’Assise quand elle est complète, – cette liberté se fonde sur une servitude consentie au Vrai, au Bien, à Dieu.
« Le communisme libère l’homme de ce qui lui est supérieur : dans la famille, les autorités personnelles (légitimes ou illégitimes) dans la cité, la volonté et la loi de Dieu. Il n’a pas inventé cette émancipation, il a inventé un système tendant à l’assurer radicalement. Et cette émancipation abandonne à des servitudes incomparablement plus exigeantes et plus strictes que la ploutocratie elle-même, un étatisme total, la domination absolue des éléments les plus matériels, les plus impersonnels du pouvoir et de l’organisation, de la propagande mécanique et de l’économie inhumaine, sans parler de l’esclavage d’une sexualité sans âme et sans autre limite que les commodités du Parti et les nécessités de la production. Cette libération n’est pas une libération du prolétariat, simple instrument en l’occurrence, et davantage instrumentalisé que par le capitalisme le plus tyrannique, c’est la libération de l’homme, j’ai dit laquelle, et au prix de quelle servitude. C’est, pour autant qu’il est possible à l’homme, la liberté de Lucifer, je l’écris sans métaphore.
« Toute libération est au prix d’une servitude, – consentie ou imposée. Telle est l’alternative de la liberté, de chaque liberté. Il existe trente-six ou cinquante libertés, il n’en est pas une qui ne soit payée par un esclavage qui la conditionne et qui la rend possible. Cette alternative de la liberté est fondamentalement identique dans l’ordre collectif et l’ordre personnel, et saint Paul en a exprimé l’essentiel, en a donné la clé une fois pour toutes (Épître aux Romains vi, 20-22) : « Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l’égard de la justice… Maintenant vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu. »
« L’alternative de la liberté est constante et immuable, dans les petites choses et dans les grandes. L’homme est un être dépendant, mais pas de n’importe quoi, ni de tout. Il peut choisir sa juste dépendance et sa juste indépendance. Par révolte, par erreur, par distraction, il accepte de dépendre de ce qui le défigure et l’avilit, ou même il ne s’en aperçoit pas" [Jean Madiran, Ils ne savent pas ce qu’ils font, pp. 175-177].
IV. Énoncé du Principe
« Il est vrai sans doute, et l’histoire en fournit d’abondants témoignages, que par suite du changement de conditions sociales, bien des choses qu’on demandait précédemment à des associations de moindre envergure ne peuvent plus désormais être accomplies que par de puissantes collectivités.
Néanmoins demeure inébranlable ce très grave principe de philosophie sociale, qu’il est impossible de changer : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et de leurs propres moyens, de même ce serait commettre une injustice, et en même temps gravement troubler l’ordre social, que de retirer aux groupements inférieurs, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. »
« L’objet de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. »
« Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait l’excès de son effort ; elle pourra dès lors assurer plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir selon que le comportent les circonstances ou que l’exige la nécessité. Que les gouvernements en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction subsidiaire de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques » [Pie XI, Quadragesimo Anno, §§ 86-88, D. 2266].
« Notre prédécesseur Pie XI, dans son encyclique Quadragesimo Anno sur l’ordre social, énonçait ce principe de valeur générale : ce que les particuliers peuvent faire par eux-mêmes et par leurs propres moyens ne doit pas leur être enlevé et transféré à la communauté ; principe qui vaut également pour les groupements plus petits et d’ordre inférieur par rapport aux plus grands et d’un rang plus élevé. Car, poursuivait le sage Pontife, toute activité sociale est par nature subsidiaire : elle doit servir de soutien aux membres du corps social et ne jamais les détruire ni les absorber. Paroles vraiment lumineuses, qui valent pour la vie sociale à tous les degrés et aussi pour la vie de l’Église, sans préjudice de son organisation hiérarchique » [Pie XII, aux Cardinaux, 20 février 1946].
« Il est indispensable, précisément aujourd’hui où l’ancienne tendance du “laissez faire, laissez passer” est sérieusement battue en brèche, de prendre garde à ne point tomber dans l’extrême opposé ; il faut, dans l’organisation de la production, assurer toute sa valeur directive à ce principe, toujours défendu par l’enseignement social de l’Église : que les activités et les services de la société doivent avoir un caractère “subsidiaire” seulement, aider ou compléter l’activité de l’individu, de la famille, de la profession » [Pie XII, aux Semaines sociales de France, 19 juillet 1947].
V. Analyse du Principe, portée, conséquences
– Le principe de subsidiarité n’est rien d’autre que le principe de totalité en tant que celui-ci norme la structure de la société. Le principe de totalité est relatif à l’ordre des fins ; celui de subsidiarité à l’ordre des moyens.
– Il relève donc de la justice, il est très grave, il ne peut être changé ; il vaut pour la vie sociale à tous les degrés.
– C’est son application qui permet à la vie sociale d’être une vie morale, une vie de volontés humaines poursuivant le bien dans des communautés ou sociétés naturelles et proportionnées :
« En fait l’État lui aussi et sa forme dépendent de la valeur morale des citoyens, et cela plus que jamais à une époque où l’État moderne, pleinement conscient de toutes les possibilités de la technique et de l’organisation, n’a que trop tendance à retirer à l’individu, pour les transférer à des institutions publiques, le souci et la responsabilité de sa propre vie » [Pie XII, Message de Noël, 23 décembre 1956].
– Sa méconnaissance trouble gravement l’ordre social, parce que celui-ci n’est plus accordé à la fin de l’homme.
– Elle entraîne la confusion entre le gouvernement et l’administration [Cf. Henri Charlier, La confusion du gouvernement et de l’administration. Dans Itinéraires n° 2 ou n° 216], entre le social et l’économique.
– Elle entraîne une conception contre-nature de la « représentation nationale ».
– Elle entraîne la substitution des fausses libertés aux vraies :
« Il n’est aucunement permis de demander, de défendre ou d’accorder sans discernement la liberté de la pensée, de la presse, de l’enseignement, des religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l’homme. Si vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine. Il suit pareillement que ces diverses sortes de libertés peuvent, pour de justes causes, être tolérées, pourvu qu’un juste tempérament les empêche de dégénérer jusque-là licence et au désordre. Là enfin où les usages ont mis ces libertés en vigueur, les citoyens doivent s’en servir pour faire le bien et avoir à leur égard les sentiments qu’en a l’Église. Car une liberté ne doit être réputée légitime qu’en tant qu’elle accroît notre faculté pour le bien ; hors de là, jamais » [Léon XIII, Libertas præstantissimum, 20 juin 1888, § 61, D. 1932].
Conclusion
« Les structures sociales, comme le mariage et la famille, la communauté et les corporations professionnelles, l’union sociale dans la propriété personnelle, sont des cellules essentielles qui assurent la liberté de l’homme, et par là son rôle dans l’histoire. Elles sont donc intangibles et leur substance ne peut être sujette à révision arbitraire » [Pie XII, Message de Noël, 23 décembre 1956].
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